L’urbanisme français repose sur des règles pensées pour encadrer, protéger et harmoniser le territoire.
Mais sur le terrain, le quotidien des porteurs de projet – particuliers comme professionnels – ressemble de plus en plus à un parcours d’obstacles administratif.
Entre règlements opaques, lenteurs institutionnelles et empilement normatif, l’urbanisme français ne protège plus : il paralyse.
“J’ai un terrain. On peut construire ?”
La question paraît simple. Mais la réponse, elle, dépend d’un enchevêtrement de règles et d’interprétations.
Avant de dessiner un trait, l’architecte doit ouvrir un PLU, consulter un SCOT, vérifier la carte des risques naturels, explorer le cadastre, interroger les zones ABF, les servitudes, les hauteurs, les emplacements réservés…
Une seule ligne dans un règlement peut bloquer le projet. Et tout le monde espère passer entre les mailles sans faire d’erreur.
Voici quelques cas concrets vécus :
✅ Deux places de parking obligatoires… même à 200 mètres du tram.
✅ Une haie “locale”… mais surtout pas de laurier ni de thuya.
✅ Une pente de toit à 35°… même dans une zone de plaines sans relief.
✅ Un enduit “ton pierre clair”… sans que personne ne sache ce que cela veut dire.
✅ 60 % de sol végétalisé… mais la terrasse bois ne compte pas.
La mairie répond souvent :
“C’est conforme… mais sans garantie.”
Car aucun service ne prend la responsabilité pleine et entière. Les décisions se diluent. Les réponses se font floues. Et les délais s’allongent.
Préparer un permis de construire aujourd’hui, c’est :
Lire plusieurs dizaines de pages de règlement.
Produire 15 à 20 pièces graphiques et administratives.
Contacter 4 à 6 services : urbanisme, voirie, réseaux, assainissement, environnement, ABF…
Attendre des réponses qui n’arrivent pas toujours.
Composer avec des services qui ne communiquent pas entre eux.
Et souvent, aucun agent ne peut répondre à toutes les questions. L’administration est segmentée, cloisonnée, débordée.
En France, environ 194 000 permis sont délivrés chaque année.
Chaque dossier implique plusieurs services : instructeurs, voirie, ABF, environnement, etc.
Dans les préfectures, les effectifs ont baissé de 14 % en 10 ans (source).
Un agent peut suivre jusqu’à 300 dossiers par an, tous types confondus (permis, DP, CU…).
👤 Exemple : les ABF doivent rendre un avis sur plus de 530 000 projets par an… à seulement 189 agents sur toute la France.
📎 Le lien entre saturation des services et ralentissement des projets devient évident.
Chaque règle, chaque organisme, chaque procédure a été conçue avec de bonnes intentions :
✅ Protéger le patrimoine
✅ Lutter contre l’artificialisation des sols (ZAN)
✅ Favoriser la densité (SRU)
✅ Préserver les écosystèmes, la qualité de l’air, l’eau, la biodiversité
✅ Intégrer les enjeux sismiques, thermiques, acoustiques
Mais personne ne pilote l’ensemble.
Ce qui devait créer de la cohérence… génère de la confusion.
Ce système décourage tous les acteurs :
Les particuliers abandonnent leur projet.
Les promoteurs réduisent leurs ambitions.
Les mairies freinent les décisions par peur de recours ou de surcharge.
Les architectes passent plus de temps à faire de la veille réglementaire qu’à concevoir des projets.
Et on continue de s’étonner du manque de logements disponibles, de la dégradation du bâti, ou des projets “moches” mais faciles à faire passer.
Il ne s’agit pas de réclamer l’anarchie réglementaire.
Mais plutôt de :
Clarifier les règles et les rendre compréhensibles.
Renforcer les effectifs dans les services instructeurs.
Favoriser les échanges directs entre les acteurs.
Numériser intelligemment les processus.
Redonner aux architectes un rôle de conception, pas d’interprétation juridique.
Je crois à la nécessité d’un urbanisme exigeant.
Mais aujourd’hui, il ne protège plus.
Il paralyse.
Rapport Cour des Comptes – La délivrance des permis de construire
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