Les travaux de voirie à Paris sont devenus un sujet de conversation à part entière. « Ma rue est toujours en travaux ».
À force de voir sa rue creusée, rebouchée, puis re-creusée quelques mois plus tard, on en viendrait presque à croire à une malédiction. Ou à un complot municipal fomenté par un lobby de cordonniers.
Mais la réalité, elle, est beaucoup plus structurée — et frustrante.
Le printemps est là, et pour la quatrième fois en deux ans, ma rue est en travaux.
Impossible de s’y garer. On patauge entre gravats et rubalise.
Est-ce un plan secret d’Anne Hidalgo pour me faire marcher davantage, user mes chaussures, et relancer l’artisanat cordonnier parisien ?
Peut-être.
Mais plus sérieusement, ce sujet mérite qu’on s’y attarde. Parce que derrière cette impression d’absurde se cache une réalité urbaine bien plus complexe.
Commençons par un malentendu fréquent : la mairie de Paris n’est pas seule responsable des travaux.
Voici les principaux acteurs qui peuvent “ouvrir” une rue :
Ville de Paris ou Métropole du Grand Paris : pour la voirie, les trottoirs, la végétalisation, les pistes cyclables, l’éclairage public…
Enedis (électricité), GRDF (gaz), Eau de Paris, opérateurs télécom…
Chacun a ses propres réseaux enterrés à entretenir, à étendre ou à moderniser.
Lorsqu’un immeuble se raccorde à un réseau de chaleur ou qu’un programme neuf est lancé, il faut créer ou modifier des raccordements en pleine rue.
Ces interventions ne sont ni coordonnées, ni forcément compatibles dans le temps.
C’est LA question la plus légitime :
“Puisqu’on ouvre la rue, pourquoi ne pas en profiter pour tout faire ?”
Enedis prévoit ses travaux selon ses propres urgences (sécurité, puissance, incidents).
La mairie planifie les aménagements urbains sur des années.
Le raccordement d’une copropriété arrive souvent en dernier moment.
Personne n’a le même calendrier, ni le même cadre budgétaire.
Même si des réunions de coordination existent (notamment via le système DICT), elles ne suffisent pas.
Les procédures sont longues, techniques, et les arbitrages difficiles.
Imaginons une rue “classique” du 13e arrondissement de Paris :
2021 : La chaussée est refaite avec élargissement des trottoirs.
2022 : GRDF ouvre la chaussée pour un renforcement de réseau.
2023 : Une copropriété voisine se raccorde à la géothermie. Nouvelle ouverture.
2024 : Fibre optique pour une résidence neuve.
Chaque opération est justifiée.
Mais aucune n’a été coordonnée, et la rue a été ouverte 4 fois en 4 ans.
Autre frustration courante : la tranchée est là… mais personne ne travaille.
Attente de validation d’un test (pression, étanchéité…)
Attente d’intervention d’un autre sous-traitant
Délais réglementaires entre deux étapes
Cela donne l’impression d’un abandon, alors que le chantier est en cours.
Des solutions existent :
Un calendrier partagé obligatoire, avec obligation de déclaration des travaux à 1 ou 2 ans.
Un audit préalable de tous les réseaux enterrés avant toute réfection lourde de voirie.
Un chef d’orchestre désigné par secteur, capable de coordonner les interventions.
Certaines métropoles ont déjà lancé ce type de démarches, mais elles restent trop rares et peu contraignantes.
Lire à ce sujet sur le site de l’AITF (Association des Ingénieurs Territoriaux)
Alors, un chef d’orchestre pour nos rues ?
Pourquoi pas, à condition de ne pas alourdir un système déjà très encadré.
Mais au fond, ce sujet mérite notre attention, notre implication, voire nos revendications, plutôt que notre simple frustration.
Des idées, du débat, pour mieux reprendre possession de nos rues.